BACK

 

Les aventures de Pipo-Pino-Reno   

 

C’était dans les années d’avant eleven september, d’avant la bombe, le souvenir est un peu flouté, imprécis mais il nous reste assez de fragments pour vous conter l’histoire du Citizen Pino et de son Xanadu.

Ami des monarques républicains, le Citizen Pino avait appris à festoyer en leur compagnie, dans les palais dorés de la république. C’est peut être là qu’il développa l’envie d’en édifier UN, plus grand et plus beau, un Xanadu à lui, rien qu’à lui. Toujours est il que dans sa longue vie, longue et riche, oui très riche, le Citizen avait entassé une collection de Rosebud à faire pâlir les plus grands collectionneurs officiels, les collectionneurs d’Etats.

Je me souviens que l’annonce avait été rapidement ficelée, le Citizen aurait son Xanadu. Cela avait été un fait d’autant plus engageant que celui-ci avait gagné en légitimité : il serait ouvert, il serait public, il serait monté dans la grande tradition des fondations anglo-saxonnes, ou le capital retournait à ceux à qui il avait été spolié, pour les éduquer, les émanciper, à la grandeur de la culture, et à celle des Rosebuds en particulier.

Le grand capitaine d’industrie qu’était le Citizen Pino devenait la pièce maîtresse de l’aménagement des faubourgs, il était la clé, voir l’alibi qui permettait de définitivement ratiboiser l’île industrielle de Reno, d’éliminer les miasmes, les efflorescences ouvrières qui s’y logeaient encore..

Et le Citizen Pino avait son architecte, Ando le joaillier, le magicien lilliputien, du petit ouvrage, de l’orfèvrerie en clair obscure. Le Citizen le voulait ce joaillier, en direct, sans intermédiaire, pour sertir son Xanadu, à façon, sur le cadavre de Reno.

Mais le petit homme du soleil levant, on le sait, n’est pas homme de la grande dimension, les grands monuments l’effraient. Il n’a pas d’égal quand il faut incruster un éclat dans un microcosme, en lisière d’un paysage artificialisé, mais lui demander de dessiner un paquebot, amarré au ponton de notre monarchie, c’est le prendre à contre emploi, c’est prendre un risque. Les erreurs de casting accouchent  parfois de roses épineuses et belles à la fois, c’était justement le pari revendiqué et assumé du Citizen Pino que de tenter cette aventure inédite.

Nul ombres ni nuages à l’horizon, il suffisait de faire, de nouer une relation délicate, forcement délicate entre la fierté impulsive de l’un et la modestie relative de l’autre, un Pacs-Pino-Ando pour le meilleur.

La noce était belle, le vin coulait à flot, le média commentait [c’est le rôle qu’on lui attribue dans notre comté].

Dans la liesse du montage, personne ne s’aperçut qu’un troisième larron s’était glissé dans le lit conjugal : la monarchie républicaine n’allait pas laisser passer une si belle occasion. Elle était en embuscade et avait même envoyée son meilleur limier, celui des coups tordus, pour infiltrer l’affaire et la faire sienne.

L’Etat ne validait la noce qu’à condition que celle-ci soit organisée suite à un concours de prétendants ! Si, si, je vous jure. C’est l’une des ficelles les plus opératoires, que de justifier d’une transparence démocratique pour mieux en asservir les choix.

Le Citizen Pino, pour des raisons qui restent aujourd’hui obscures, s’est soumis à ce diktat, et a in fine accepté qu’une consultation de prétendants (concepteurs) soit organisée, à condition par retour, que le petit joaillier, Tadao Ando soit élu.

Le petit Joaillier a été déclaré le meilleur des prétendants, dans une consultation granguignolesque et factice.

C’est ici que la chose se perd dans les profondeurs abyssales de la médiocrité et que la bêtise submerge le système mis en place : le petit joaillier de génie ne sait pas faire un concours, il ne sait pas réduire l’intelligence de son travail à un concept, à une idée, à un geste de papier, propres aux mécanismes des consultations à la Française (voir les Halles à Paris pour s’en convaincre).

Et le projet est mauvais, très mauvais, inintéressant et pauvre. Personne n’ose le dire, silence radio des commentateurs officiels et du faux jury, aux ordres, dont la fonction avait au préalablement été éviscérée de toute velléité d’indépendance [çà nous savons le faire dans notre comté].

Voilà donc le Citizen et son joaillier chez Reno, futur propriétaire d’un Xanadu réduit à une fantaisie lourdingue, un cake indigeste. Le grand seigneur ne pipe mot, l’aventure doit être lancée, les couleuvres avalées, faut bien faire avec cet état des choses, avec cet Etat Français qui par ailleurs l’a si souvent épaulé.

Le seul à s’enorgueillir d’avoir « pre-nationalisé » un projet privé en imposant ses propres procédures. C’était le limier de l’Etat. Belle victoire que celle à la Pyrrhus.

La deuxième rafale allait le surprendre en plein sommeil.

C’est que Pino ne désirait pas seulement un Xanadu, ce que personne ne voulait comprendre, mais un Xanadu Parc, un parc-à-thème, un Pinoland avec la fondation-musée comme pièce maîtresse ; de l’organisation économique du spectacle et de l’entertainment comme vecteur de production d’un fragment de ville et de sa consommation. C’était peut être là, la vrai dimension visionnaire du projet. Cela ouvrait d’autres perspectives que l’isolement, que la statufication d’un bâtiment à caractère muséal. La fondation Pino ne devait pas s’autovalider par son contenu et son autonomie mais générer une dynamique au-delà de ses murs. Pas si mal.

Mais, dans ce montage de pieds nickelés, l’Etat avait oublié qu’il ne pouvait revendiquer et avaliser un parc à thème, fusse t’il culturel  sur les cendres encore fumantes de Reno.

Le musée anoblie celui qui le commissionne, le parc à thème, dysneylandisé et populaire, par nature l’avilie [c’est comme cela que l’on pense dans notre comté]. La grandeur de la France n’est pas miscible dans mickey mouse, la situation ne pouvait être !

Pour résoudre cette équation impossible, celle qui devait à la fois injecter les programmes annexes que demandait voir exigeait le Citizen Pino tout en réhabilitant la mémoire industrielle du lieu, l’Etat va faire appel à son limier, qui, si vous avez bien suivi est toujours dans le lit. Rien de plus simple. Il suffisait d’y penser. Une autre consultation de prétendants est lancée, qui sans craindre le ridicule, se battent en duels pour restituer l’âme de l’enceinte industrielle de Reno, avant même que celle-ci ne soit détruite !

Coup double, joli coup, se dit on.

Des montages intellectuels abracadabrantesques [ça on sait faire dans notre comté].

Concours décidé, concours organisé, dans les mêmes procédures que préalablement, jury au ordres et petits marquis issus des amitiés de ce même jury. Les « professionnels de la profession » péroraient.

Le résultat a été à la hauteur des espérances, ou du dénie d’intelligence.

Une enceinte de béton sensée abriter les lieux de consommations culturels tant désirés et réactiver la présence du fantôme industrielle encore sur pied à l’époque, gagne la consultation.

Rarement un projet ne fut si idiot.

Nous devenions le dernier pays à construire des enceintes alors que les autres, tous les autres les abattaient !

Rien à dire, on ne pouvait faire mieux : ce mur de béton, qui fermait l’île sur elle-même, c’était la goutte d’eau et le linceul du projet, il l’avait définitivement achevé en l’étouffant.

Cette fois la balle logée profondément dans le pied l’infectait, salement. Pino ne voulait plus être le Dindon chez Reno et s’est enfui au Lido. Le joaillier a rendu son tablier, le limier de l’Etat cherche encore une autre situation à infiltrer, et l’histoire se perd, seuls quelques pauvres guignols de l’ouest Parisien, qui pour une fois n’y avaient été pour rien, mais bon garçons, étaient allés au charbon pour colmater les fuites et prendre les coups de bâton.

 

François Roche / R&Sie / Mai 2005

 

 

PS 1

Si l’on avait voulu raser Reno, on se s’y serait pas pris autrement. 1) Pendant qu’un architecte d’Etat paradait à la biennale de Venise pour justifier du trésor archéologique de la condition ouvrière, la consultation qui planifiait  sa destruction était organisée. 2) La sélection du joaillier, Ando, permettait d’habiller cette destruction du voile de l’ambition de sa reconstruction, et in fine 3) le projet passe aujourd’hui aux mains de ceux qui labourent la ville de la production la plus autiste.

On ne peut néanmoinsns pas pour autant soupçonner l’Etat d’avoir orchestrer ce mauvais scénario, mais plutôt de ne pas l’avoir anticiper.

 

PS 2

Ne pourrait on pas remettre en cause pour une fois l’impunité du limier et/ou commis de l’Etat [c’est comme cela que l’on dit dans notre comté] qui aurait du avouer qu’en tout état de cause, l’affaire était mal barré(e).

 

PS 3

Toute ressemblance avec des faits réels ou personnages réels serait purement fortuit et liée à des coïncidences involontaires.

 

BACK