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Architectural Design / octobre 2003 /  Inteview et introduction de Bruno de Labaudère

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Intro d’AD

Cet architecte nous parle de ses dernières réalisations : une « maison furtive » en Provence, un étrange musée d’art contemporain à Bangkok, un pont « auto construit » en Bourgogne, œuvre volontairement hybride mêlant au travail de l’architecte celui d’un artiste.

Si la plupart des architectes se lamentent devant les problèmes qui assaillent l’architecture. François Roche, lui, ne s’intéresse à l’architecture qu’à travers ses ratés ! Pour lui ce sont les dysfonctionnements de la ville, qui permettent d’imaginer une autre articulation de l’architecture et la création de nouvelles formes.

BL François Roche, comment êtes vous venu à l’architecture ?

FR Je ne suis pas architecte par vocation mais par hasard. Après maths sup. et mats spé et une préparation de dessin d’architecture, j’ai bifurqué sans que rien ne soit programmé.

BL Ouvert à la nouvelles topologie en mathématique, comme la théorie du Chaos et celle des fractals, ou encore à celle de la complexité, vous avez cherché avec ces éléments à renouveler la conception traditionnelle de l’espace en architecture.

FR  Oui, nos plates formes aujourd’hui sont des distorsions, des compressions, des pliages… A travers ces modes opératoires nouveaux et tout en étant branché sur l’ordinateur qui hybride l’imaginaire et le virtuel pour recomposer le réel, nous réélaborons les formes.

BL C’est un tremblement de terre pour l’architecture classique qui en perd son identité, son désir d’éternité, ce désir de bâtir en dur pour toujours et au travers des formes stables idéales.

FR  L’architecte devrait se limiter à un rôle de « passeur », exploitant et rendant compte du degré d’instabilité d’une situation. Il nous faut nous méfier tout autant de ceux qui pétrifient, momifient un territoire, que ce ceux qui le saupoudrent de cadavre exquis. Au lieu d’expurger les dysfonctionnements, les mécanismes chaotiques, ou d’en nier l’existence, il nous plait de négocier avec, comme une donnée objective, de-rommantisée. Plutôt que de vouloir produire pour l’éternité, il nous plait d’intégrer les paradoxes et contradictions de notre époque, au travers de la vibration des perceptions temporelles, entre un « Dream Time » et un « Day After », entre un « tomorrownow » et « back to the futur ». L’échec de la ville et des pensées sur la ville, voir l’escroquerie de ceux qui émettent encore l’hypothèse de sa planification nous servent de matériau. Nous en avons fini avec la duplicité de l’architecte, porteur d’une vision social, éminemment morale, et qui, simultanément, est étrangement le premier à s’inféoder au marché, sans regard critique, sans position critique.

Le renouveau de l’architecture internationale, déterritorialisée, délocalisée, comme un passeport à la Global Company est à ce titre exemplaire. Ce sont ceux là même, soixante huitards patentés, forgés sur les barricades et les envolées rhétoriques (Nouvel et Portzamparc y compris) qui en sont les premiers vecteurs.

A travers eux, le monde est une marchandise, la culture un simple instrument commercial et l’auteur son parangon.

Ils ont anobli ce que l’académisme Beaux Arts n’avait pas réussi à légitimer : la répétition savante des formes déjà consommé comme process de création et renvoyer toute pensée contextuelle à un simple opportuniste citationnel. Nous en sommes là aujourd’hui, en France.

Ailleurs, les pays les plus intéressants dans notre sphère architecturale sont ceux la même qui ont introduit des proportions de démocratie directe dans les choix de transformation et dans l’émergence d’une architecture. Le citoyen n’est pas otage mais impliqué. Comment ne pas voir les derniers projets Franco Français, la fondation Pinault et le musée des arts premiers, comme les derniers avatars, d’une monarchie républicaine, vieillissante, incapable de renouveler ses procédures. François Barré l’ex directeur de l’architecture fait dans cette soupe indigeste œuvre de grand ordonnateur… il est a l’origine de l’ensemble de ces ratages.

Pompidou avait du courage, que l’on se souvienne du centre du même nom.

J’ose à espérer une architecture qui révélerait les contradictions et fantasmes d’une société, plutôt que sa représentation fossilisée.

Comment voulez vous que la décentralisation puisse produire une exigence de recherche et de risque si l’Etat lui même se confond dans le petit, la baise à la papa, la corruption passive, l’esthétique à deux balles, le spectacle du cénotaphe... les grands travaux de Mitterrand et Belmont en ont esquissée la dérive.

BL Comment fonctionne votre agence et quelle est la philosophie qui la guide ?

FR  Entre la volonté de sauver la forêt amazonienne et la fascination pour l’engin qui la détruit, sorte de pince caterpillar se jouant des troncs comme autant d’allumettes.

Cette attitude nous préserve tout autant d’une pensée « ecologico decorative » pour le Elle magazine que de celle tamponnée « professionnel du bâtiment » du groupe Le Moniteur. Elle nous permet  d’introduire la complexité comme une data, comme une donnée objective, fusse t’elle issue de biotope ambiguë comme la pollution humaine et le Dark Side.

Cette attitude se veut sur le fil du rasoir, productive et critique.

Que nous soyons deux, Stéphanie Lavaux et moi même, à l’origine de cette schizophrénie ne doit rien au hasard.

Elle même est issue de l’Ile de la Réunion, ou la nature abondante, primitiviste et Rousseauiste se « twist » contradictoirement à un sentiment de dangerosité, entre volcan, cyclone,  et requins des profondeurs. Cette insécurité permanente dans un biotope voluptueux conduit à accepter la contradiction, l’éphémère, la transformation, le risque, comme une philosophie de l’instant, ici et maintenant. C’est ce que nous essayons d’introduire dans nos projet : un état de turbulence, fragile et vibratoire entre un « dream time » et un « day after ».

BL Elle est adaptée à l’insécurité du territoire dont parle Virilio 

FR Oui et non.

Oui car pour nous il n’y a pas ………………..planète !

Non car le catastrophisme est un produit du spectacle de l’entertainement que Virilio alimente. Les peurs millénaristes, la peste de l’an mille, les tribus du « libre esprit », le Jardin des Délices de Bosch, n’ont pas attendu Virilio. L’accident n’est pas industriel, il est humain, « profondément humain », pour reprendre Artaud.

BL Pouvez vous nous parler de vos réalisations ?

FR Nous réalisons en Suisse un musée de la glaciologie, à 1500 mètre d’altitude. Le bâtiment est issu de la transformation climatique saisonnière : bois massif, creusé par fraisage et computer, l’été, à l’image d’un Kern surdimensionné, et l’hiver, bonhomme de neige et recouvrement de glace. Il s’agit de mettre en évidence les flux, les transferts de l’eau comme matière constitutive d’un écosystème et de son architecture.

A Sommières dans le sud de la France, nous avons construit l’an dernier une maison « furtive » pour le directeur du FRAC de l’époque, Ami Barak. A proximité d’une tour moyenâgeuse, Il nous fallait échapper au radar censeur de la protection des sites et du patrimoine et proposer un scénario qui s’infiltre dans un trou noir réglementaire. Est-ce un jardin, une tente agricole, une moustiquaire estivale qui suit et épouse la topologie complexe d’un terrain ? Pas de réponse mais la maison a été acceptée et  réalisée.

Nous devions l’an dernier réaliser un projet pour EDF, un projet qui se devait d’intégrer les énergies renouvelables. Il s’agit de profiter des surfaces des parois vitrées pour implanter des capteurs d’énergie thermiques et électriques produisant environ 60% de l’énergie du bâtiment.

La tour s’est recouverte de poils et de protubérances comme autant de mutation de la peau vitrée face à cette nouvelle « fonctionnalité ».

J’attends qu’EDF aille plus loin sur ce projet, nous en négocions actuellement la réalisation d’un fragment prototypale avec la Fondation du même nom. Faut il encore qu’elle en ait le courage… ?

BL En inventant cette membrane vivante réactive au soleil, vous avez sorti l’architecture du tertiaire de son abstraction, recrée cette architecture dont Dali visionnaire disait contre celle cubiste, moderniste, minérale, raide et frigide, qu’elle serait « molle et poilue » proche du vivant.

FR A Bangkok, je met en chantier un musée d’art contemporain pour un collectionneur Thaïlandais qui avait aussi sollicité R Koolhass. La ville a deux particularités, celle d’être l’une des plus polluée sur la planète, et celle de ne pas intégrer de planification d’urbanisation. La ville croit comme un ectoplasme, au gré des énergies individuelles et collectives. Notre scénario a été de d’intégrer ces deux phénomènes. IL s’agit d’une part d’un projet où l’on introduit la perte de contrôle, comme producteur de la forme architectural et d’autre part ou la pollution, les résidus carboniques deviennent la peau du bâtiment. Par un système électrostatique sur l’ensemble des enveloppes extérieures, le bâtiment se comporte comme un filtre urbain. Ce qui est donné à voir et à toucher, c’est bien la chair de notre économie, molletonnée, moutonnée  et poussiéreuse.

L’autre projet qui devrait voir le jour est un pont-restaurant à Pouilly en Auxois. Associé à Philippe Parreno, nous réalisons une structure comme un bobinage métallique non standard, courbé et soudé in situ avec l’introduction de paramètres d’indétermination structurelle. Le biotope dans ce cas précis n’est rien d’autre que le cortex de l’ingénieur, Marc Mimram pour le nommer.  Cette structure est constituée avec un BUG dans le système, perturbant et altérant calculs et pré dimensionnements.

Nous avons confiance dans VNF (voie navigable de France) lié au Consortium de Dijon et à la Fondation de France pour porter jusqu’au bout un tel projet. Cela tient à peu de chose, juste le désir de scénariser différemment le réel.

 

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